C’est un scénario auquel on est coutumier presque chaque année mais qui cette fois a pris une ampleur inédite, avec le blocage de plusieurs artères de la capitale par des montagnes d’ordures, à quelques semaines de l’organisation au Cameroun de la 33ème Coupe d’Afrique des nations de football, et quelques jours seulement après la démonstration de force de l’entreprise Hysacam qui venait d’afficher en grandes pompes ses 100 nouveaux camions à lancer «sur les routes de la Can». Votre plateforme d’informations et de décryptage de l’actualité saisit l’opportunité de la récente crise des ordures à Yaoundé pour faire une incursion dans l’univers nauséabond de la propreté de nos villes et notamment de l’assainissement de la capitale du Cameroun.
- Hysacam, cache-sexe de nos villes-poubelles
Au cours de ces trois derniers mois, la Société d’hygiène et de salubrité du Cameroun (Hysacam) a organisé une véritable démonstration de force dans ses villes-partenaires. Depuis fin août début septembre 2021 en effet, devant une foule subjuguée et en présence des autorités locales applaudissant des deux mains, le président directeur général de cette entreprise spécialisée dans le ramassage et le traitement des déchets domestiques en zone urbaine, Michel Ngapanoun, a fait le tour de quelques grandes villes du pays (Douala, Bafoussam, Limbé, Yaoundé) pour présenter sa nouvelle flotte : 100 camions-bennes ultramodernes de collecte des ordures ayant coûté la bagatelle de 12 milliards de Fcfa…
Cette opération de charme n’était-elle donc qu’un appel du pied à l’endroit du gouvernement dont l’ardoise auprès d’Hysacam ne cesse de gonfler ? Fin octobre, le spectacle des tas d’ordures ménagères bloquant la chaussée a été absolument insoutenable. On ne voyait plus alors le moindre camion de Hysacam dans la circulation, eux qui avaient habitué les Yaoundéens à leur ronflement tapageur, de jour comme de nuit, filant à toute allure, quitte à laisser échapper souvent des déchets au vent tout le long du parcours qui va des points de ramassage à Yaoundé à la décharge de Nkolfoulou situé dans l’arrondissement voisin de Soa dans le département de la Mefou et Afamba. A la place des camions, des montagnes d’ordures, que les automobilistes s’efforçaient de contourner comme ils peuvaient mais qui ont fini par boucher quasiment la voie publique, comme dans les marchés du Mfoundi, Mokolo, Mendong et à bien d’autres endroits de forte concentration commerciale et humaine. Les hôpitaux et les écoles n’ont pas été épargnés par le voisinage soudain des poubelles irrespirables.
L’affaire a semblé finalement bien orchestrée. La Coupe d’Afrique des nations approche à grands pas (du 9 janvier au 6 février 2022). Il faut faire du marketing autour de ce gros événement qui attire tous les regards. Les camions neufs de Hysacam sont ainsi estampillés «Sur les routes de la Can». Tout le monde est content, d’autant que le PDG de Hysacam, Michel Ngapanoun, a annoncé le recrutement de 500 nouveaux employés qui vont travailler avec les 100 nouveaux camions. Et puis patatras ! Le personnel en service à Yaoundé entre en grève pour réclamer le paiement de trois mois d’arriérés de salaire. La direction de l’entreprise ne bouge pas, elle a eu, par emprunt bancaire, 12 milliards de Fcfa pour acheter des camions, mais elle n’a plus d’argent pour payer la main-d’œuvre qui va bosser avec ces camions. C’est ce que soutient, dans les colonnes de Cameroon Tribune édition du 27 octobre 2021, Jean Elomo Ndo le responsable de la communication antenne de Yaoundé. Ce dernier révélait que les négociations étaient cours pour que l’Etat paie au moins une partie de sa dette, ce qui permettrait à Hysacam de rétribuer à son tour le personnel de Yaoundé en grève. Pour bien montrer la bonne foi de l’entreprise, il ajoutait : «Hysacam se montre même citoyen en allant prendre des déchets au-delà des limites de son contrat, notamment à Nkoabang et dans les périphéries de la ville de Yaoundé».
- Hysacam et son personnel : deux bons syndicats des ordures
En fait, ce sont deux actions syndicales qui se déroulaient ainsi à Hysacam. Le personnel est entré en grève pour espérer se faire payer les trois mois d’arriérés de solde. Le patronat de l’entreprise a aussi entériné cet arrêt de travail pour espérer que ses partenaires étatiques (les mairies -15%- et surtout le gouvernement -85%- qui se partagent note salée des factures des prestations Hysacam) lui paieront au plus vite sa lourde dette, qui s’élèverait aujourd’hui à quelques 20 milliards de Fcfa.
En août, lors de la présentation des nouveaux camions à Douala, le maire de la ville Roger Mbassa Ndine avait annoncé qu’un échéancier de règlement de ladite dette avait été négocié entre les parties prenantes. Manifestement, ce deal tient à Douala et dans 15 autres villes où le service de ramassage des ordures par Hysacam n’a pas été interrompu, mais c’est à Yaoundé qu’il y aurait de gros soucis à le respecter. Le contrat-type de collecte des déchets a été renouvelé par la Communauté urbaine de Yaoundé (CUY) en 2018, mais le volet traitement (lot n°2) attend encore d’être contractualisé, selon M. Olomo qui assure que Hysacam effectue quand même ce service en attendant.
La direction de Hysacam, en se saisissant du contexte de l’approche de la Coupe d’Afrique des nations de football, applique simplement la stratégie de la poule et des poussins : pour faire sortir mère-poule de sa cachette on attrape ses bébés dont les caquettes ne laisseront jamais de marbre la maman. Ça avait déjà marché en début d’année 2021, lors de la dernière grève du personnel Hysacam, à quelques jours du coup d’envoi du Championnat d’Afrique des nations de football (Chan) déjà organisé au Cameroun. L’Etat avait payé une partie de sa dette qui était encore de 8 milliards de Fcfa à l’époque, et les bacs à ordures de Hysacam étaient à nouveau régulièrement vidés dans la capitale.
La crise des ordures actuelle semble de plus grande ampleur et risque de laisser bien des taches trop noires. C’est en effet plus facile d’amonceler des détritus quelque part que de les enlever. Plus difficile encore de polir une image du pays hôte de la Can 2021 largement écornée par ces multiples photos montrant des montagnes d’ordures qui barrent la route, et qui ont fait le buzz sur les réseaux sociaux et dans les médias. En clair, même si Hysacam était un mal, ce serait un mal absolument nécessaire…
- Yaoundé, modèle de ville-poubelle
Il faut rappeler que c’est la ville de Douala qui est à l’origine de l’avènement de Hysacam, créée en 1969 dans cette ville portuaire qui est la cité la plus peuplée du Cameroun pour résoudre le problème qui se posait déjà du ramassage des ordures. C’est dix ans plus tard que Yaoundé signe son premier contrat avec Hysacam, en 1979, le maire André Fouda s’étant convaincu que ce travail de nettoyage de sa ville ne pouvait plus se faire en amateurs et devait être confié à des professionnels. Son lointain successeur à l’hôtel de ville de Yaoundé, Luc Messi Atangana, est-il au même niveau de compréhension ? L’initiative de l’actuel maire de la capitale a fait sourire : pour contrer les effets de la grève des éboueurs de Hysacam, il a sorti quelques camions-bennes (ordinairement voués au transport du sable) avec des gros-bras munis de pelles rondes pour aller ramasser les ordures déversés dans la rue. Cet amusement n’a même pas résisté au premier jour de grève, puisque les pauvres camions de la CUY ont été bloqués par les grévistes à l’entrée de la décharge de Nkolfoulou, propriété privée de Hysacam.
Le maire de Yaoundé, qui est nouveau dans cette fonction, doit donc apprendre à négocier avec le partenaire historique dans la collecte et le traitement des ordures ménagères, au lieu de tenter un bras de fer sans lendemain. Il s’agit d’un travail complexe et coûteux, même si les méthodes de Hysacam proches du chantage sont questionnable. Mais tout le monde peut apprécier la qualité du service rendu par cette entreprise dont le métier est de rendre les villes propres, et comprendre qu’elle puisse réclamer ses paiements pour service rendu. En tout cas, on a encore vu les dégâts causés dans la capitale par une seule semaine d’arrêt de travail à Hysacam !
Au-delà de ce dossier, la grande mairie de la ville doit sérieusement se pencher sur la question de la propreté de Yaoundé d’une façon globale. Il y a l’immense chantier de l’assainissement des petits cours d’eau qui serpentent la ville, amorcé avec courage par l’ex-délégué du gouvernement Gilbert Tsimi Evouna et qui marque terriblement le pas puisque même l’aménagement des quais est à l’arrêt. Ces rivières devenues des poubelles causent des inondations à la moindre pluie parce que bouchées par des bouteilles plastiques, des animaux errants morts et autres détritus. C’est une responsabilité de la mairie et pour cela monsieur le maire doit prendre le taureau par les cornes.
La prise en main de l’assainissement de la capitale ne passera pas par des coups de sang ponctuels mais par une politique bien définie et quotidiennement suivie. Qu’on le veuille ou non, les habitants de la ville ne se disciplineront jamais tout seuls sans répression. Il est inadmissible que les arbres qui ornent les trottoirs longeant la clôture de l’hôtel de ville de Yaoundé soit des pissoirs où des passants viennent se soulager impunément. Voilà un autre chantier pour M. Messi Atangana, qu’il peut mener en collaboration (et non en affrontement comme on a observé au début de leurs mandats respectifs depuis mars 2019) avec les sept maires des communes d’arrondissement : construire et imposer des toilettes publiques partout.
- Les poncifs de la Présidence et la concurrence
Sur «très hautes instructions du chef de l’Etat», le secrétaire général de la présidence de la République (SGPR), Ferdinand Ngoh Ngoh, s’est déjà intéressé à l’épineuse question du ramassage et du traitement des ordures ménagères dans les principales villes du pays. Le 25 janvier 2017, il transmettait au secrétaire général des services du Premier ministre, Séraphin Magloire Fouda, les hautes instructions présidentielles demandant illico presto d’ouvrir ce marché à la concurrence.
En 2018, les communautés urbaines de Douala et de Yaoundé se sont exécutées en lançant des appels d’offres internationaux. Dans la capitale économique, le groupe français Scan, cornaquée par Roger Milla l’ancienne star du club de football Montpellier et ami personnel de son président Louis Nicollin, célèbre businessman dans l’industrie des ordures en France, a postulé mais a été battu par Hysacam. Dans la capitale politique, un concurrent étranger venu d’Espagne, le groupement Urban/Ambiafrica/Lipor remporte l’un des lots de la ville : la CUY lui attribue en effet le marché du ramassage des déchets dans les communes de Yaoundé 3, 6 et 7 ; tandis que Hysacam garde les communes de Yaoundé 1, 2, 4 et 5.
Excellente idée, d’autant que la ville ne cesse de s’agrandir. Sauf que cette ouverture à la concurrence commandée par le palais de l’Unité est restée couchée sur du papier. On n’a jamais vu circuler dans la ville un camion de la société espagnole qui avait pourtant signé son contrat avec la CUY qui prévoyait l’aménagement d’une nouvelle décharge. Que s’est-il passé depuis trois ans ? Certaines sources font référence à l’entregent de Michel Ngapanoun, le patron de Hysacam, dans les arcanes du pouvoir à Yaoundé, qui bloquerait toute initiative concurrentielle. Mais ce serait aussi trop facile comme ça ! Puisque les hautes instructions du chef de l’Etat ont fini par être rendues publiques, un privé a aquel pouvoir pour en empêcher la mise en œuvre ? Hysacam jouit de sa longue expérience et de sa grosse capacité financière et infrastructurelle. Posséder 600 camions, payer 1 milliard de salaires chaque mois, gagner des marchés à l’étranger (Niger, Bénin, Liberia) et surtout avoir la résilience de courber l’échine quand ses factures ne sont pas honorées à temps n’est pas donné au premier venu.
Au cours de la dernière crise des ordures fin octobre 2021, le palais d’Etoudi a encore multiplié des réunions pour essayer de trouver solution à ladite crise dans la capitale. Mais traiter 5 000 tonnes de déchets chaque jour pour la seule ville de Yaoundé, c’est lourd. Et cela demande certainement une réflexion très profonde et des mesures pérennes et non des appendices et des actions ou coups d’éclats ponctuels. /.