Un jour au diable vous partîtes, victimes de la bête humaine. Vous portiez des habits de jeunesse et des rêves d’éternité. Pour beaucoup, vous aviez la beauté des fleurs en bouton et l’aura des anges du ciel. Comme dans une bacchanale, comme dans une antique célébration païenne, comme dans ces ésotérismes barbares, votre jeunesse a servi au sacrifice expiatoire de monstres perchés sur des strapontins fétides. On m’a dit qu’ils en tombent déjà. J’ai dit cela ne me console pas.
On m’a dit le diabolisme ne paie pas. J’ai dit cela ne me console pas. Leur enfer sans fin ni fond dans une quelconque géhenne, dans les feux de l’Etna ou du Char des dieux, rien ne vous fera revenir. Alors, je ne me console pas.
J’aurais espéré d’eux le repentir. Pauvre de moi ! Le loup aura longtemps pait avec l’agneau, le bois du cercueil aura servi à faire un berceau, le lion aura scellé la fraternité avec les antilopes nourricières sur les pâturages du Serengeti, leurs faces continueront à exprimer les immondices de leur âme sans souffle. Et moi je continuerai à te pleurer Eséka.
Plus jamais ça ! Arrêtez donc vos rêves d’enfants crédules. Je crois encore au père Noël et le ferai toujours. Je crois en Dieu au milieu des tumultes. Mais de grâce ne me pensez pas primitif au point de croire l’impossible rédemption de certains esprits. Je prierai pour la victime et le victimaire. Mais je laisserai à chacun sa mission. Et plus jamais ça, Dieu seul sait !
Quand à vous, âmes vagabondes d’Eséka, je reviendrai toujours, encore et encore vous dire que vous ne serez pas oubliées.
ESEKA 4 ANS DEJÀ ET DES MÉMOIRES OUBLIÉES
J’entends le tintamarre des mélopées lointaines
Qui montent en sanglots et hoquets spasmodiques
De la ville d’Eséka la mère orpheline
Qui pleure à jamais son destin fatidique
Ce monde déserté que chanta Aladin
Sa triste errance aux mille tragiques éclats
Connaîtra donc toujours un funeste destin
Comme oublié des dieux et des chefs d’ici bas
Etait-ce bien nécessaire de surcharger encore
Ce wagon déjà plein de misères et de larmes
En ce triste matin qui planta le décor
Pour un nouvel enfer enchevêtrement des rames
Ils étaient si nobles elles étaient si belles
Cette jeunesse bourrée de rêves et de talent
Qui s’en allaient le cœur tout plein d’étincelles
A la conquête fougueuse du monde et des temps
L’humaine cupidité les mena au trépas
Quatre années sont passées sans mémoire ni justice
Les voilà âmes errantes dans la vallée là-bas
D’où monte chaque nuit la voix de leur détresse
Justice je crie justice pour tous ces sacrifiés
Je vomis l’anathème sur vous monstres vampires
Qui vous vautrez impies dans le sang pétrifié
Des martyrs d’Eséka que vous fîtes périr
Ô Dieu pardonne moi cet cri d’iniquité
Permets que ces êtres qui n’ont ni foi ni loi
Recouvrent au moins un brin d’humanité
Pour délivrer les âmes qui peinent sous la poix
Je reviendrai toujours âmes de la vallée
A chaque anniversaire pour une petite prière
Vous ne serez jamais jamais abandonnés
Un jour s’ouvrira à vous le chemin vers nos pères
Gaston KELMAN