Si ce n’est pas un « coup d’état », l’annonce, il y a quelques jours, de la mise à l’écart par ses camarades de Seydou Mbombo Njoya, jusqu’alors président par interim de la Fecafoot, en a tout l’air. Occupé, on l’imagine, par les obsèques de son paternel Sultan des Bamouns – Ibrahim Mbombo Njoya décédé il y a peu – le président de la Fecafoot qu’on croyait pourtant confortablement installé a appris, soudain, qu’une assemblée générale extraordinaire d’une aile dissidente de “sa” fédération avait décidé de le démettre, sans préavis et sans façon. Cinq ans de bannissement, avec effet immédiat. Même les habitués des sulfureux retournements à la tête du football camerounais n’ont pas vu venir celui-là.
Les « putschistes », a-t-on appris une fois leur action réalisée, sont conduits par l’ancien journaliste Albert Mbida, devenu sénateur sur le tard et soutenu par Abdourahman Amadou, un familier trublion des milieux du football camerounais ces dernières années. Il fut notamment directeur de cabinet de l’ex-président de la Fecafoot Iya Mohamed, emprisonné comme chacun sait pour détournements présumés de fonds publics.
Le décryptage de ce récent et explosif développement vaut sans doute son pesant de cacahuètes. Reste qu’au-delà des raisons profondes ou superficielles de ce « putsch » étrange, il se situe dans la triste logique d’une tragi-comédie vieille de trois décennies et qui met en scène trois catégories d’acteurs : les naïfs, les brutes et les truands.
Les naïfs – Ce sont, bien malgré eux il est vrai, les potentiels réformateurs de ce football camerounais. Les plus connus : hier Joseph-Antoine Bell (souvent candidat et jamais élu en dépit du soutien populaire et de l’estime générale) et aujourd’hui, Samuel Eto’o (candidat annoncé et soudain accusé, avec malice et méchanceté, du délit de double nationalité). Les deux anciennes stars des Lions, aux profils fort différents (l’un dérange par son franc-parler, l’autre par son imposant portefeuille) ont cependant en commun de ne pas appartenir à la clique des gestionnaires du football. Or ce petit monde perçoit toute tentative extérieure de prendre la tête de la fédération comme une gravissime atteinte à leurs privilèges immérités. Il est clair depuis la première élection à la Fecafoot en 1996 que jamais un outsider ne l’emportera, du moins pas dans le cadre administratif actuel. Et même s’ils ont bien du mérite, au final, Joseph-Antoine Bell hier et Samuel Eto’o aujourd’hui, sont les dindons de la farce électorale permanente à la Fecafoot.
Les brutes. Ce sont eux les visages les plus visibles, les vainqueurs de la farce sans fin, les pantins du désordre. Par bien des côtés, ils sont davantage des tonneaux vides parfois proprement pathétiques que des brutes au sens premier du terme. Ils ont pour noms Vincent Onana, Iya Mohamed, Tombi a Roko et Seydou Mbombo Njoya. Personnages en apparence malléables et pas un imposant pour un sou, ils ont occupé la présidence de la Fecafoot sans qu’on ne comprenne trop s’ils avaient une vision quelconque à mettre en œuvre. Sous leurs regards, les outrages et scandales (de primes impayées aux Lions notamment) se sont multipliés, les accusations de détournements de fonds et de contrats sulfureux se sont succédés. Mais jamais ils n’ont semblé en avoir cure. Impassibles, aériens, leurs chutes successives furent souvent aussi brutales qu’inattendues, mais finalement sans conséquences pour le système. Leurs chutes ressemblent toutes, avec le recul, à des règlements de compte, façon OK Corral. Ce fut la prison pour Onana et Iya, la démission forcée pour Tombi et donc, il y a quelques jours, le putsch pour Seydou. À chaque fois, nul n’a semblé regretter leurs départs soudains.
Les truands. Enfin dans le rôle des tireurs de ficelles, les maîtres d’œuvre, hier comme aujourd’hui, les soupçons et accusations pointent vers de puissants hommes politiques installés en hauts-lieux. Du haut de leur piédestal, ils vident, dit-on, les élections à la Fecafoot de leur sens. La presse camerounaise, relayant des membres de la fédération, accuse Ferdinand Ngoh Ngoh, l’actuel secrétaire général de la présidence de la république d’être à la manœuvre. Avant lui, au moins deux de ses prédécesseurs à ce poste, Marafa Hamidou Yaya (actuellement emprisonné pour détournements de fonds) et Joseph Owona furent mis à l’index. A ces puissants ordonnateurs, il faut ajouter la Fifa, la CAF et le TAS (Tribunal Arbitral du Sport), tous contributeurs au désordre permanent, à coup de décisions à têtes chercheuses et fatalement foireuses. Ainsi de celle prise par le TAS il y a quelques mois, de faire organiser de nouvelles élections à la tête de la fédération par un exécutif qu’elle a elle-même jugé illégal, à la manière d’un juge qui demanderait à un condamné d’organiser son futur procès.
Au total, les épisodes successifs de cette série indigeste qu’est devenue la gestion de la Fecafoot ne font plus rire grand monde au Cameroun. Les acteurs sont connus, la trame également. Les enjeux, on le sait, sont d’un côté les fabuleuses sommes d’argent englouties par les gestionnaires du football et de l’autre le pouvoir sans limites dont ils jouissent.
Dans ce contexte, les vrais dindons de la farce sont les Camerounais, fous de football, drogués au sport roi et qui rêvent à chaque annonce d’élections à la Fecafoot qu’au bout du processus, la gestion de leur football sera différente, meilleure. Pourtant, depuis trois décennies, le bon peuple découvre que le téléfilm foireux est sans fin, en dépit des retournements hallucinants du dernier épisode en date.