C’est sous une pluie continue que nous débarquons à Kumba en cette journée du 22 octobre 2020 sous escorte militaire, signe que la situation sécuritaire reste tendue dans cette ville réputée frondeuse du sud-ouest du Cameroun. Nous sommes ici pour voir ce qu’est devenu le site du Mother Francisca International Bilingual Academy, théâtre du massacre de 7 adolescents en pleine salle de classe, le drame avait également fait 13 blessés dont certains grièvement.
Il règne un climat de terreur et de suspicion dans la ville. Chaque interlocuteur que nous rencontrons, veut s’assurer que sa vie ne sera pas mise en danger après avoir accepté de nous parler. Après moult négociations, nous finissons par convaincre, l’un des responsables de l’établissement présent sur le site, le jour de la fusillade, qui accepte de nous conduire sur place, sous anonymat.
L’homme que nous appellerons Paul pour des raisons de sécurité, nous explique qu’il est impossible d’emprunter la voie normale pour rallier l’école, de peur d’attirer la curiosité des riverains. C’est donc par un chemin détourné, que nous arrivons sur les lieux. Le décor reste apocalyptique. L’établissement est désert et envahi par la broussaille. Rien n’a bougé ici depuis le 24 octobre 2020, si ce n’est une toute petite plaque posée sur un banc, ou l’une des victimes avaient vue sa tête arrachée par une balle. Au sol, des traces de sang recouvertes de sable sont encore visibles, et les toiles d’araignée témoignent du fait que personne n’a mis les pieds ici depuis très longtemps. La vue de cette salle de classe du premier étage ou la plupart des victimes ont été fauchées par les balles d’hommes armés soupçonnées d’être des séparatistes anglophones, ravive pour Paul, les souvenirs de cette terrible matinée du Samedi 24 octobre 2020.
Étreint par l’émotion, Il nous raconte qu’il était dans son bureau, au fond du couloir lorsqu’il a entendu des coups de feu. Il a juste eu le temps de se coucher au sol, alors qu’une de ses collègues sautait du premier étage pour échapper aux tueurs. Les coups de feu raconte-t-il, ont duré « une bonne dizaine de minutes », une éternité. Le calme revenu, il s’est précipité dans le couloir, et a vu des élèves couverts de sang pour certains, et qui criaient à l’aide : « Help me sir, help me sir… » suppliaient ces victimes parmi lesquelles des blessés gisant au sol et baignant dans leur propre sang. Des images qui hantent encore ses nuits un an après. Pour ne rien arranger, il nous apprend qu’il a été arrêté avec certains de ses collègues et emprisonné à la suite de ce drame. Après six mois passé à la prison centrale de Buea, le chef-lieu de la région du Sud-ouest, ils viennent d’être libérés sans qu’ils sachent exactement ce qui leur était reproché. « De victimes nous sommes devenus des suspects » regrette-t-il. « Nous étions là pour dispenser le savoir, et au lieu de cela, nous nous sommes retrouvés en prison, sans que nous sachions ce dont nous étions accusés. Je suis encore traumatisé, et risque des troubles mentaux beaucoup plus sévères, car j’ai tout perdu, et je ne vois aucune perspective. Au traumatisme de voir nos élèves assassinés sans raison, l’on a ajouté celui de la prison. Aujourd’hui Je suis désespéré, et je n’ai qu’une seule envie m’éloigner de celle ville de Kumba, et de cette crise qui n’en finit plus. » Explique Paul.
A l’autre bout de la ville, nous retrouvons une famille dont la fille faisait partie des blessés. Après 5 mois d’hospitalisation et plusieurs opérations chirurgicales, elle se remet progressivement de ses blessures, mais ici aussi c’est toute la famille qui est encore traumatisée, et n’est pas près d’oublier les évènements du 24 octobre 2020. « Ma fille a perdu le sommeil, depuis ce jour », nous raconte le père de famille. « Elle n’arrête pas de faire des cauchemars, surtout lorsqu’elle entend des coups de feu. Je ne sais pas si nous pourrons un jour retrouver une vie normale », conclut-il dans un soupir. Quant à la jeune fille aujourd’hui âgée de 13 ans, elle a certes changée d’établissement et repris le chemin de l’école la peur au ventre, mais elle ne pense plus jamais remettre les pieds au Mother Francisca International Bilingual Academy, et ne rêve plus que d’une chose, « servir Jésus-Christ, car c’est lui qui m’a sauvé la vie », avec une pensée pieuse pour ses sept camarades qui n’ont pas eu cette chance.